Entrepreneuse, activiste, Eva Sadoun a cofondé LITA.co, une plateforme d’investissement dédiée aux projets à impact social et environnemental. En septembre 2024, elle a lancé le podcast « Loin des yeux, loin du care », consacré à l’économie et visant à partager sa vision du soin.
Je constate depuis quelques mois un retour de bâton. Les objectifs fixés étaient encourageants, les normes environnementales et sociales inondaient les débats européens et arrivaient à terme, les institutions financières s’étaient donné des objectifs ambitieux. Et les oppositions récentes et abandon de projets, sous couvert de réalisme économique, masquent une vague idéologique qui va complètement à l’encontre d’un progressisme social et écologique en économie…
Le Green Deal européen, qui incarnait l’espoir d’une Europe pionnière sur les enjeux environnementaux et climatiques, subit aujourd’hui un sérieux coup de frein, sous la pression des syndicats patronaux et de certains mouvements politiques de droite. Une régression préoccupante, certes, mais qui ne doit pas nous faire oublier que des victoires restent possibles à l’échelle nationale.
En France, ces derniers mois, plusieurs mobilisations ont prouvé que lorsque les forces s’alignent – activistes, scientifiques, acteurs économiques et citoyens – il est encore possible de faire bouger les lignes au sein des institutions. L’exclusion des énergies fossiles des labels ISR, la loi ambitieuse sur la fast fashion portée par le Mouvement Impact France et les acteurs de la mode éthique, ou encore les avancées sur l’interdiction des PFAS, obtenues grâce à une large mobilisation, en sont la preuve.
Si l’on regarde qui a réellement pesé ces dernières années dans la transition écologique, on constate que la société civile a été en avance de phase. Elle s’est structurée, a engagé largement les individus et trouvé des alliés dans le secteur économique. Elle a porté des batailles qui ont abouti à des victoires concrètes, prouvant qu’un autre modèle est possible. L’État, lui, demeure souvent la dernière roue du carrosse, avançant sous contrainte plus que par conviction. Pourtant, c’est encore sur lui qu’il est le plus simple d’exercer une pression politique, notamment à travers les mobilisations citoyennes et les négociations institutionnelles.
En revanche, la bataille médiatique est autrement plus complexe. Il existe très peu de médias qui aident à se projeter dans un monde où la résolution des grands défis écologiques et sociaux est possible. Face à ce contexte, j’ai fait le choix de porter ces sujets autrement, en investissant la sphère culturelle.
Il nous manque aujourd’hui un horizon commun. Ces dernières années ont été marquées par une bataille idéologique sur les leviers les plus efficaces pour la transition écologique. Entre les partisans de la décroissance et ceux qui ont défendu une croissance verte largement démontée par les arguments scientifiques, le débat a souvent tourné en rond, sans répondre à l’angoisse sous-jacente : la peur de quitter un monde dépendant des énergies fossiles. Cette peur, qui traverse toutes les classes sociales, empêche d’imaginer un futur désirable et alimente une forme de vide idéologique.
Face à ce dernier, il faut proposer un nouvel horizon, un récit capable d’embrasser à la fois la transition écologique et la reconstruction sociale. Cet horizon, c’est l’économie du soin. Une économie qui ne se contente pas de répondre aux enjeux climatiques, mais qui intègre la nécessité de repenser nos infrastructures de solidarité, ces services publics invisibilisés et exploités autant que les énergies fossiles. Le travail du soin – qu’il soit médical, éducatif, social – est aujourd’hui sous-valorisé, alors même qu’il constitue l’ossature d’une société résiliente.
L’économie du soin, c’est une réponse qui parle autant aux besoins individuels qu’aux grandes transformations systémiques. Elle reconnecte le social et l’écologique, propose une alternative au productivisme et redonne une place centrale aux liens humains. C’est un horizon capable de rassembler, parce qu’il ne s’adresse pas à une élite consciente et privilégiée, mais à l’ensemble de la société, en redéfinissant ce qui a réellement de la valeur. Il est temps d’écrire ce manuel du monde d’après, non pas en imposant un modèle théorique figé, mais en redonnant à chacun et chacune la capacité de se projeter dans un avenir où prendre soin des autres et de la planète devient la base d’un projet collectif.