Justin Vaïsse est le fondateur et directeur général du Forum de Paris sur la Paix, qui a vocation à faire avancer la paix par une meilleure gouvernance mondiale. Docteur en histoire, il a auparavant été directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, de 2013 à 2019. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la politique américaine et les relations internationales.
Je serais bien en peine de donner une note globale : les résultats varient énormément d’un secteur à l’autre. En matière de coopération internationale, nous avons connu des succès notables : je pense notamment au traité sur la protection de la haute mer en 2023 ou à celui sur la biodiversité en 2022. Mais ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui, ce sont les probables conséquences de la politique menée par Donald Trump sur les objectifs de développement durable. La fourniture de biens publics globaux qu’assuraient les États-Unis – en matière de santé, de nutrition, d’éducation, ou de climat – est aujourd’hui en danger.
Je retiens deux points majeurs. D’un côté, les États-Unis, sous l’impulsion de Biden, ont enclenché un mouvement massif de transformation économique vers le renouvelable, grâce à l’IRA et à l’Infrastructure Act. De l’autre, la Chine, avec toutes ses contradictions, reste le premier fournisseur mondial d’équipements abordables pour la transition énergétique. Ces deux dynamiques ont réorienté des pans entiers de l’économie et c’est probablement irréversible. En revanche, les signaux venant du monde de l’investissement – certains fonds, comme BlackRock, se retirent d’initiatives responsables – sont plus inquiétants.
En matière de climat et d’énergie, je dirais clairement Joe Biden et Xi Jinping, deux « mauvais élèves » qui ont fait des efforts. Ce sont eux qui ont pesé le plus lourd dans la réorientation des économies. En Europe, Emmanuel Macron a joué un rôle moteur, depuis le One Planet Summit de 2017 jusqu’aux coalitions d’acteurs diversifiés sur les océans, les forêts ou le charbon. On peut critiquer son activisme, mais il a eu le mérite de faire bouger un système international qui évoluerait peu s’il était laissé à lui-même. Sans leadership, ça ne marche pas.
La vraie menace, c’est la situation économique. Certes, une récession entraînerait une diminution de nos émissions carbone, mais au prix d’une grande détresse sociale. Si l’on entre dans une telle phase, ou dans une phase de stagflation – ce vers quoi les États-Unis semblent se diriger – les citoyens n’arbitreront pas en faveur du climat. Une crise durable nourrirait des réflexes anti-environnementaux, déjà visibles dans certains discours populistes. Ce n’est pas la lassitude citoyenne le problème, c’est l’environnement économique et politique dans lequel ces citoyens évoluent.
Il faut inventer de nouvelles coalitions. Les États-Unis ont adopté une attitude destructrice et l’on ne peut pas attendre 2030 en espérant que les choses s’arrangent d’elles-mêmes. C’est pourquoi nous avons choisi ce thème pour la prochaine édition du Forum de Paris sur la Paix : New coalitions for peace, people and the planet. Il nous faut rassembler, de manière souple et adaptée, des entreprises, des fondations, des ONG et des pays en y incluant la Chine ainsi que d’autres acteurs émergents. Il s’agit de préserver l’essentiel, de sauver ce qui peut l’être. C’est à ce prix qu’on pourra éviter un échec collectif.