Journaliste au Monde, spécialiste des questions énergétiques et climatiques, Nabil Wakim anime depuis 2022 le podcast et la newsletter Chaleur humaine, un format hebdomadaire dans lequel il interroge experts et scientifiques pour éclairer les sujets environnementaux et proposer des pistes d’actions.
Si on prend l’Accord de Paris comme point de départ du match, on peut découper cette première mi-temps en trois périodes. Il y a d’abord eu une prise de conscience timide, qui n’a pas entraîné de grands changements concrets. Les années 2018 – 2022 ont été celles de l’accélération, liée à plusieurs actualités. Nous avons subi des événements climatiques extrêmes, Nicolas Hulot a démissionné, les marches sur le climat se sont multipliées… Les politiques climatiques ont aussi commencé à se mettre en place. Certains États ont lancé des plans ambitieux — je pense à la Chine ou aux États-Unis sous Joe Biden. Et plusieurs entreprises ont pris des engagements.
Mais depuis 2023, le jeu s’essouffle. De nombreux acteurs économiques sont revenus en arrière sur leurs engagements. D’autres priorités sont apparues, comme la guerre en Ukraine ou la crise à Gaza. Et de grands émetteurs, comme les États-Unis ou l’Union européenne, ont relâché leurs efforts. Alors, quel score à la mi-temps ? Je reste optimiste : disons match nul. Rien n’est gagné, mais il est encore possible de l’emporter.
La baisse spectaculaire du coût de l’énergie solaire. C’est peut-être une réponse technique, mais cela a changé la donne. On peut désormais produire de l’électricité décarbonée à bas coût, partout dans le monde. Ce n’est pas une promesse futuriste, c’est une réalité, ici et maintenant. C’est un socle sur lequel on peut construire. Cette évolution structurelle rend la transition beaucoup plus accessible, malgré les hésitations politiques.
Les entreprises pétrolières et gazières restent les joueuses les plus problématiques. BP, Shell, TotalEnergies ou Equinor ont un temps laissé croire qu’elles voulaient jouer collectif. Mais les faits montrent qu’elles ont continué à œuvrer pour leur propre camp, en tablant sur la hausse du prix du baril et en freinant la transition. Elles ne sont pas des partenaires fiables. C’est un vrai défi pour la suite : comment avancer avec des acteurs qui ont prétendu s’engager… Sans jamais vraiment le faire ?
L’attention de nombreux médias et personnalités politiques semble s’être détournée. Mais dans l’opinion publique, la mobilisation reste forte. Je le vois dans les audiences de Chaleur humaine, qui ne cessent de croître. Les sujets climatiques restent parmi les plus lus sur Le Monde. Beaucoup de gens attendent des réponses et s’inquiètent que celles-ci se fassent plus rares. Cette attente, cette inquiétude, c’est aussi un moteur.
Le discours doit s’articuler autour de trois idées. Il faut d’abord rappeler que tout est encore possible. Nous n’en sommes pas à 0-10 avec une équipe décimée. Nous disposons des outils, des ressources et des solutions.
Ensuite, les gens attendent que ça bouge. Il existe une vraie demande pour des réponses à la hauteur. Cela doit encourager ceux qui se trouvent « sur le terrain » — politiques, entreprises, syndicats, ONG — à s’engager davantage.
Enfin, nous devons faire preuve de tactique et de pragmatisme. Il n’y a pas de solution magique. Il faudra accepter des compromis, reconnaître que certaines décisions sont imparfaites et malgré tout avancer. L’adversaire, c’est l’inaction – et le temps presse.